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Homélie - Le fils de la veuve de Naïm

10ème dimanche du temps ordinaire, année C 
Lc 7, 11-17

«Ne crains pas, crois seulement»

L’évangile s’ouvre aujourd’hui de manière douloureuse… Il rejoint peut-être notre propre douleur. Parce qu’il y est question de la souffrance d’une femme, d’une mère, d’une veuve. Elle vient de perdre son fils, son unique. Ce n’est pas l’ordre des choses. Une mère n’a pas vocation à voir partir celui qu’elle a porté dans ses entrailles. 
Une « grande » foule accompagne Jésus. Elle rejoint une autre foule « importante » celle-là – précise saint-Luc. Une foule qui suit cette mère en larmes. Foule impuissante à consoler vraiment. 
Pourtant, comme sa présence est importante. Comme la présence des autres, lorsque nous sommes dans l’épreuve, est importante. Le grand mystère de l’Eglise se révèle peut-être davantage dans ces moments là. Lorsque survient l’épreuve et le deuil, comme il est bon d’être épaulé, entouré. Les personnes engagées dans l’accompagnement des familles en deuil en savent quelque chose. 
La présence des autres est importante. En même temps, l’expérience de cette mère est l’expérience d’une certaine solitude : sa place est unique. Elle ne peut inverser les rôles avec ceux qui l’entourent. 
Telle est la réalité. Tel est le réel – contrairement au monde virtuel ou chacun peut jouer un rôle puis changer. Dans la vraie vie, nous avons une place unique que personne ne peut assumer à notre place. 
Place dont nous prenons peut être davantage la mesure lorsque survient l’épreuve ultime – celle de cette mère qui perd l’enfant qu’elle a porté – ou de même celle du départ d’un époux, d’une épouse, d’un parent proche… Plus largement dans notre expérience de vie, épreuves qui surviennent de nos responsabilités à assumer, dans une famille, un métier, un engagement. Epreuves qui sont le fruit de l’injustice.
A chaque fois que survient l’épreuve, une foule peut nous entourer et nous aider. Mais il y aura toujours une part de nous-mêmes confrontée à la solitude – avec la tentation de la désespérance ou du découragement.
Ce que l’évangile veut nous rappeler aujourd’hui, c’est combien notre foi dans le Christ veut transfigurer nos épreuves : nous ne sommes jamais seuls. 
Jésus, voyant cette femme en pleurs, largement entourée et pourtant si seule, s’approche de l’enfant. Il touche le cercueil et dit : « Jeune homme, je te l’ordonne, lève toi. Alors le mort se redressa et se mit à parler ».
Jésus, dans tous les évangiles n’accomplit que trois miracles de ce type. Il fait sortir Lazare de son tombeau. Il réveille la fille de Jaïre – épisode raconté à la fois par Matthieu, Marc et Luc. Puis il relève le fils de la veuve de Naïm, tel que nous le rapporte Luc. 
A chaque fois, Jésus accomplit un acte prophétique. Après avoir relevé le fils de la veuve de Naïm, les disciples de Jean viennent voir Jésus. Il leur dit : « Allez annoncer à Jean ce que vous avez vu et entendu : les aveugles retrouvent la vue, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent ». Ainsi la porte de la ville de Naïm, Jésus accomplit la parole du prophète Isaïe. Il annonce déjà sa propre résurrection.
Ces miracles – ces actes prophétiques de Jésus – viennent nous dire que le salut est donné en chacune de nos vies, jusque dans l’expérience de la solitude lorsque nous sommes confrontés à l’épreuve – et la mort. Lorsque nous faisons l’expérience d’un vide, d’une absence qu’il faut assumer. Parce qu’aucun homme, aucune foule, aussi considérable soit-elle ne peut se mettre à notre place. 
Jésus a besoin d’une seule chose : notre acte de foi. 
« Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra » dit Jésus devant le tombeau de Lazare. « Ne crains pas, crois seulement » dit-il à Jaïre. A la sortie de Naïm, il ne dit rien. Mais il voit. Il voit les larmes d’une femme, expression de sa détresse, de son désir d’être consolée. Jésus lui-même a pleuré lorsqu’il a appris la mort de son ami Lazare. C’est le verset le plus court de tous les évangiles. Simplement deux mots : « Jésus pleura ». Le témoignage des larmes est aussi un cri vers Dieu. Comment ne pas associer la béatitude des larmes – « heureux ceux qui pleurent, ils seront consolés » - avec la première – celle qui fait de nous des mendiants de Dieu et qui est la clef de voute de toutes les autres – « heureux les pauvres de cœur ». 
Frères et sœurs, lorsque nous aussi, pour différentes raisons, nous faisons l’expérience d’une solitude profonde, parce que personne ne peut se mettre à notre place, Jésus veut être notre consolation. Pour cela, il n’attend qu’une chose : notre acte de foi.
Vendredi dernier, nous avons célébré la solennité du Sacré-Cœur de Jésus. Nous n’avons pas médité sur un aspect de l’histoire du salut – l’incarnation, la transfiguration, l’ascension… mais nous nous sommes fixés sur le cœur même de Jésus. Par sa passion et sa résurrection, le cœur humain de Jésus est devenu dépositaire de l’angoisse de Dieu pour toute misère humaine ; toute détresse. Jusqu’à l’épreuve ultime de la mort qui sépare.
Celui qui apprend jour après jour, dans les petites choses, à s’ancrer sur le cœur de Dieu trouve en lui la paix et la force que seule Dieu peut donner. Chaque croix à porter est alors traversée par la lumière du tombeau de Pâques. Il prépare son cœur à vivre les grandes épreuves en restant debout, comme Marie au Golgotha.
Hier, je relisais le récit poignant des parents de Pierre et Charles, deux jumeaux de 22 ans décédés accidentellement en montagne la veille de Noël, il y a un an et demi. Récit d’où jaillit une douleur sans fond et des larmes. Celle d’un père et d’une mère séparés de leurs enfants. 
Dans leur épreuve, ils évoquent leurs actes de foi, sans cesse renouvelés depuis ce drame.
Sur le livret de messe d’enterrement de leurs fils, ils avaient choisi cette phrase - « tu nous as choisis pour servir en ta présence ». Pour dire combien leurs enfants avaient voulu servir ici bas. Mais aussi pour dire leur espérance qu’ils continuaient, au Ciel, de servir. Quelques semaines plus tard ils retrouveront cette même phrase sur un ancien courrier de Charles où celui-ci évoquait son engagement comme chef scout : « nous te remercions, car tu nous as choisi pour servir en ta présence ».
Ces paroles sont au cœur de la prière eucharistique II. C’est l’acte de foi suprême. Là où Jésus vient rejoindre chacun pour se livrer à nouveau et combler notre solitude d’une communion de vie et d’amour infinie. 
En Jésus, nous ne sommes jamais seuls. Dieu continue de visiter son peuple.
Amen.
 
P Sébastien de Groulard
5 juin 2016